D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, l’effrontée solitaire trouva toujours risible et profondément injuste que seuls des hommes –pour la plupart- détiennent le titre de guerriers divins. Aussi s’entraina-t’elle sans relâche, ou presque, dans l’optique de prouver la valeur des femmes, sinon la sienne, jusqu’au cœur de l’arène. La rigueur de l’hiver éternel l’y aidant, sa sottise faillit la perdre à maintes reprises d’ailleurs. De la fièvre à la faim aux malaises et blessures bêtes. Parcourir le pays en quête d’épreuves l’obligea au survivalisme, la découverte du potentiel humain qu’un confort bride. Tel gravir la cascade de givre, survivre à la fournaise ou franchir des crevasses. Tant d’abîmes de l’esprit. Des étapes nécessaires, laborieuses certes avec la frustration de l’échec continu. Elle y parvint à son rythme ou périrait valeureuse. Sans sépulcre, ensevelie par la neige, festin d’un charognard mais encore squelette de ravin. Odin lui-même n’appréciait-il pas justement ce genre de finitude, du fait d’infliger les affres d’un hiver perpétuel à ses sujets, comme indifférent à leurs déboires ? L’évidence de sa plausible inexistence l’amusa, pareille à l’idée que sa race avait dû s’endurcir afin d’assoir sa domination sur la région. Aussi le culte devint-il dérisoire en son enfance, déçue par des aspects du roman national. Ne serait-ce que le fossé entre les classes.

Seule, tranquille en son périple. Personne pour l’en détourner. L’auburne côtoie pourtant un brin des gens à son insu. Rivaux ou détracteurs, victimes et tortionnaires. Que d’ennuyeux lascars. Björn Alvin le protecteur aima lui faire leçon de ses défaites puis la défendre d’autres brutes moins courtoises. Gunther Brandburg dit le seigneur de l’arène, un nobliau fanfaron qui louvoie surtout ses victoires. Aaron Vyden de la contrée voisine, pauvre bougre en détresse émotionnelle s’échinant à la recherche sa sœur Violet, une banale villageoise qu’elle ne vit jamais ni ne compatit à son plausible trépas. Olaf Grímr le masqué fourbe mais encore Álfdís Vigmörd l’hautaine et Liv Lidon la métisse. Tous terrassés au fil des ans, à la sueur de ses larmes/efforts. Ils détinrent sur elle, seule digne du titre tant convoité. S’adapter au péril s’avère crucial, en dépit de son idéal de vaincre d’instinct.

Forte d’un style martial pour peu imprévisible, sauvage et instinctif, espiègle, aussi bancal ou frêle que vicieux, l’asgardienne souvent en vadrouille ne revient en son domicile qu’une fois la semaine, parfois moins, alors éreintée, gourde voire sanguinolente. Reniant d’ailleurs l’investissement sur sa personne. En aucune façon une folie frugale, le juste désir d’ascension sociale. Ambitieuse à raison. Elle arpente cela dit moins l’arène que les bois et terres hostiles, désireuse de dompter climats et adversités autres. Outre la piétaille insipide, ses rivaux l’ennuient tandis que ses maîtres l’agacent. Devenue farouche et impitoyable par cette hargne de la débâcle, quelque peu cruelle, mademoiselle n’aspira plus qu’à briguer place chez cette élite depuis ses huit ans. Non pas afin de susciter la reconnaissance de quiconque, quoique, mais [surtout] démontrer l’absurdité de la chose.

Une rumeur colporte que son prénom serait Runa [la rousse], du fait d’une troublante ressemblance avec une demoiselle éponyme du village de Rarr, à la frontière. Un tendron tel que ses géniteurs voulurent qu’elle soit jadis. Le bon parti à marier. Sans doute son père lui jalousait son potentiel, déchu jadis dans sa propre ambition de gloire ; un piètre guerrier. Des fadaises à son sens, la vieille loi des jumeaux n’ayant pas trahi d’allusions les yeux de ses géniteurs. Ou bien la honte les saigna trop tandis que la venue d’une autre [héritière] consola peu après son départ ? Qu’importe, autant ne pas s’embarrasser d’une malheureuse de plus. Or une petiote à l’oreille indiscrète tint à s’en assurer. Hélas, l’ironie voulue l’expédition bredouille, avortée en chemin. Qu’est-ce qu’une maigrichonne de dix ans espérait accomplir dans la froidure de l’hiver ou bat blizzard ?

Survivaliste dans l’âme, la gamine aura voulu des origines plus modestes que la petite noblesse. Promise au confort et à la facilité d’existence, en un territoire pourtant rude aux roturiers, lui devint pénible, injuste et malhonnête à l’âge de raison. Naître en un manoir de la ville proche du palais de la prêtresse la navra. Tout ce faste, cette vacuité et la suffisance de minables croyant que tout leur est dû. C’en fut trop, elle devait partir. Pas une remarque, aucun argumentaire. Une bien macabre cavalcade. Gifles, blâmes et disputes motivèrent cette fugue. Car la vérité blessa l’homme, son engeance un tantinet perspicace. Ses rares retours et son attitude poussèrent dont ses parents à concevoir un autre héritier, encore une fille. Son exacte réplique. Tout du moins au niveau du minois, la pareille chevelure ainsi que des yeux plus dociles. Cette naine crédule et curieuse, Solunn la gracile, lui tint reproches de ses décisions, de son effronterie, tandis que son caractère de teigne impérieuse -sorte de créature de merveille-, ou sa puissance l’émerveillèrent. Voilà un minime modèle à suivre, l’enfant vint à sa grande surprise l’encourager en certaines occasions au détour des gradins de l’arène depuis quelques années. L’ignorer la lassera peut-être.

Du reste, la logique de prédation lui échappe encore à demi, comme inepte. Pourquoi diable éprouver des bestiaux frêles là où donner la chasse à des criminels ou renégats serait plus jouissif ? Hormis un minimum de chalenge, car la plupart des prisonniers font aussi pâle figure qu’un daim face aux ours cauchemardesques de la région, s’essayer au cannibalisme l’a parfois tenté(e). D’autant que quelques couillons froussards ou stupides de la contrée voisine crurent bon de l’ennuyer. Personne ne déciderait à sa place ce qu’il convient ou non de faire, comme faire preuve de considération pour les protocoles ou mesures diverses face à une étrangère, ni s’ennuyer à prendre en compte l’inquiétude de villageois en son sillage. Et puis si cela attire de dignes lutteurs. Que des champions de tous horizons lui parviennent et s’essayent à la corriger. Elle n’a pas commis crimes ni perpétré d’actes qui puissent induire que renaisse la guerre. Juste une vagabonde acariâtre, tacite et sauvage qui n’endossa jamais d’armure de l’autre côté, ni n’agressa d’innocents.

La sienne en outre l’émue, la juste rétribution d’une noble cause à l’instar du mérite qui incombe aux braves. Une distinction récente, acquise par l’intensité de ses efforts à se bâtir de rien puis se parfaire. Or donc, obtenir des excuses de proches –à peine imposées- l’emplit d’une pire arrogance, la haine de son père impuissant devenue source de jubilation. Sa mère presque aussi pardonnée de sa conduite. Désormais reconnue comme fleuron familial et seule héritière légitime. Comme si sa vengeance devait inclure sa cadette. Laquelle lui parut moins pénible. Une chantre éblouie.