11 Janvier 1999 ~ Hiver
La petite fille courrait dans la neige, éperdue. Elle ne savait plus où revenir alors que les flocons achevaient de dissimuler la trace de ses pas. Elle pensait pourtant être suffisamment âgée pour s’en sortir, laisser l’orphelinat derrière elle, s’enfuir et enfin retrouver ses parents. Elle ne croyait pas aux explications de la sœur supérieure, elle ne pouvait croire qu’on l’avait abandonnée. Qu’avait-elle fait ? Rien, elle n’était qu’un bébé à l’époque ! Comment aurait-elle pu faire quelque chose de mal ? Il devait y avoir une explication !

Après s’être introduit dans le bureau de la mère supérieure, elle avait réussi à trouver son dossier, celui dont les filles plus âgées lui avaient parlées à mi-mot en expliquant qu’il contenait tous les secrets de son arrivée ici. Elle avait pu y lire une adresse, celle qu’elle supposait être celle de sa mère. Il ne lui restait alors plus qu’à s’échapper pour la retrouver et tout irait mieux, elle en était sûre…

Pourtant, tout n’allait pas mieux. L’orphelinat était loin de la ville et la campagne s’était parée d’un manteau blanc au milieu duquel elle était bien trop visible. Obliquant vers la forêt pour se dissimuler d’éventuels poursuivants, elle avait visiblement fait une grossière erreur et ne pouvait à présent plus revenir sur ses pas. Tous ces arbres se ressemblaient et pourtant elle ne semblait pas vouloir retrouver ceux du bord, ceux qui lui indiqueraient qu’elle allait enfin échapper à cet enfer blanc.

Le temps s’égrèna lentement sans que la sortie tant attendu ne survienne. En pleur, les yeux aussi rouges que le nez, elle s’effondra près d’une souche alors que le soleil disparaissait à l’horizon. Ses poumons la brûlaient alors que l’air se refroidissait encore. Ses jambes étaient lourdes, elle ne pouvait plus faire un pas. Lentement cependant le froid sembla s’adoucir alors que le sommeil étendait son empire sur ses pensées. Souriant, elle se dit qu’elle reprendrait demain, qu’au réveil tout irait mieux…

18 Mars 2005 ~ Fin de l’hiver
Voilà près de six ans qu’elle avait échappé à la mort. Le sommeil bienheureux dans lequel elle s’était laissée glisser avait failli marquer sa fin. Il l’aurait fait si ça n’avait été pour dame Freyja.

Elle n’avait jamais expliqué à la jeune fille pourquoi elle se trouvait là, ni comment elle avait su qu’elle aurait besoin d’elle. Peut-être elle-même l’ignorait ou peut-être lui cachait-elle les raisons de sa présence. Mais celui ne lui importait pas. Seul lui comptait son secours et l’amour qu’elle lui avait prodigué jusque-là.

Lui sauvant la vie, elle l’avait ensuite confiée aux domestiques du palais pour lui trouver une famille aimante, mais qu’elle ne fut pas sa surprise de voir ressurgir l’enfant au sein des murs du palais moins de deux mois après. La friponne s’était infiltrée dans le bâtiment pour revoir sa bienfaitrice et c’est, pourchassée par les gardes, qu’elle parvint ainsi à la retrouver.

Un feu étrange brûlait dans ses prunelles, la volonté de ne pas être séparée de celle qui avait été là lorsque sa mère ne l’avait pas été. Comme un petit caneton, elle s’était attachée à la dame d’Asgard et aujourd’hui souhaitait se mettre à son service pour la protéger comme elle-même l’avait été.

Trop jeune à l’époque, elle avait été acceptée comme domestique avant d’avoir l’âge nécessaire pour entamer un entrainement qu’elle poursuivait aujourd’hui assidument. Obstinée, l’esprit concentré sur son objectif et la volonté de rendre à sa bienfaitrice la vie qu’elle avait préservée, elle vit à l’écart de ses compagnons d’entrainement, apprenant les mystères de l’énergie interne du monde et les miracles que sa maîtrise de celle-ci lui permettra d’apprendre. Parmi les grandes figures, elle se prit d’affection pour l’histoire de Mime, un guerrier divin au service de la sœur de dame Freyja, un guerrier aussi beau que puissant qui s’était battu jusqu’au bout contre les envahisseurs méridionaux. Ces derniers se révélèrent être des héros, permettant à dame Hilda d’échapper à l’emprise d’un autre dieu, mais elle ne pouvait s’empêcher de laisser battre son cœur pour ceux qu’elles considéraient comme les héros tragiques de cette histoire, ceux qui par dévouement avaient donnés leur vie pour leur dame.

Séduite par cet exemple et ce devoir, elle érigea les valeurs de dévouement et de respect en parangons de la vertue tout en se tournant vers l’apprentissage de la harpe pour se rapprocher de son héros décédé.

2020 ~
Elle avait réussi… Des années durant elle s’était entrainée, avait suivi la pédagogie extrême de sa maîtresse, laissait derrière elle l’enfant volontaire pour devenir une séduisante jeune femme au sourire explicite et au cœur dur. Le jour de sa réussite, dame Freyja lui remit elle-même la robe d’Eta… Et aujourd’hui elle avait failli…

Sa dame, celle à laquelle elle devait la vie, celle qu’elle avait juré de protéger… Freyja gisait inerte sur le sol de marbre froid, des pétales de rose éparpillés autour d’elle. Au-dessus de son corps, elle se promit de la venger car si elle n’avait su la sauver comme Freyja l’avait fait pour elle, alors elle pourrait au moins la venger…